top of page

Textes envoyés par Michèle Moulard

  • Photo du rédacteur: Noël
    Noël
  • 26 mars 2020
  • 5 min de lecture

L 'EPIDEMIE

Ce matin-là, alors que Philippe Legrand sortait de chez lui, il croisa la concierge de l'immeuble. Celle-ci, d'ordinaire aimable et réservée, s'avança vers lui, l'air décidé et la vindicte aux lèvres. Il ne put esquiver :

«  Je suis désolée, mais il faut absolument que je vous dise....Votre parapluie, c'est votre voisine de palier qui l'a emprunté....Enfin...quand je dis emprunter...C'est plutôt voler...Il fallait bien que je vous le dise, n'est-ce pas ? Déjà que vous passez pour un illuminé...C'est pas pour dire.... »

Il était pour le moins surpris : de quoi se mêlait-elle ? Et cette histoire de parapluie ? C'est vrai qu'il avait noté sa disparition, mais de là à accuser la voisine de vol, et sur un ton péremptoire en plus.....Il remit à plus tard le soin d'élucider cette contrariété matinale, et se dirigea vers son arrêt de tram sans trop repenser à cette agressivité soudaine....Il ne pouvait pas encore se douter qu'il était le témoin d'un phénomène qui se répéterait....


A peine avait-il levé le nez vers les panneaux censés le renseigner sur les prochains passages, qu'un individu de sexe masculin s'interposa :

« Manifestations prévues, retards sur les lignes 1,2 6 et 8!!!!!et puis quoi encore ? La vérité on la connaît, il n'y a pas plus de manifs que de carnavals...Moi je le sais et la vérité, je vais vous la dire..... C'est que les conducteurs ont fait valoir leur droit de retrait, suite à la recrudescence de vols à l'arraché …. de tout ce qui pourrait servir de masque....Moi, je le sais, et rien ni personne ne m'empêchera de propager la vérité. »

Encore un qui ne pouvait pas s'empêcher de parler....Qu'est-ce qui leur prenait à tous ce matin ? Encore une fois, il se demanda de quoi se m^lait cet importun...Et quand bien même ce serait vrai, quel intérêt de balancer ? Lui, il avait juste besoin de savoir que les transports étaient immobilisés, afin d'organiser sa journée...La vérité vraie, les dessous du pourquoi du comment, il n'en avait pas grand-chose à faire.... Et si, en plus, ça allait de pair avec l'agressivité...


Il aurait bien voulu retrouver l'indifférence habituelle et le silence de bon aloi, mais tous ses voisins semblaient pris d'un besoin irrépressible de «  dire la vérité » et c'était la foire à la logorrhée, à celui qui déblatérerait le mieux sur autrui, la vérité n'étant souvent qu'un prétexte pour régler ses comptes.

« Moi, ce que j'en dis ?C'est pas pour dire du mal, hein ? Mais c'est la vérité, il faut bien que quelqu'un la dise...Madame Dubeuf, elle ouvre sa porte à tous les représentants, et ils font pas que représenter......Et la petite Martin, vous savez, la sainte Nitouche du quartier des Arts, et bien, elle...... »

Non!!!!!!!!!!! Il ne voulait pas savoir, il se boucha les oreilles. Tout cet étalage de vérités, c'était MALSAIN, pire qu 'une épidémie de choléra....Il décida de partir à pîed. Au moins il pouvait espérer que personne ne lui couperait le chemin pour le prendre à parti...Mais il faisait beau, ce matin-là, et les fenêtres étaient ouvertes, et il put constater que le mal ne se cantonnait pas à son quartier.....Partout dans la ville, les échos de la maladie de la vérité-qui-n'est-pas-bonne-à-dire retombaient dans les rues comme autant de flaques de boue :

« Il faut que je vous dise, je ne peux pas garder ça pour moi plus longtemps.... »




Ca commençait toujours par ces mots-là, et ça finissait dans des torrents de médisance et de méchanceté...



«  Si tu veux savoir ( non, non, surtout pas, taisez-vous!) , madame Duchemin, son vrai nom , c'est Dubrowski, c'est juif polonais, ça....Et la mère Francis, et tous ses chats, c'est sûr que c'est eux qui nous ont véhiculé le coronamachin... »

Et la vérité sortait à flots de la bouche des enfants....Ah, si on les écoutait, on saurait vite ce qui se tramait dans les dans l' arrière-cour du bureau du directeur, et on ferait plus semblant d'ignorer que le petite Sophie ne s'est pas fait tous ces bleus en regardant sa tablette.... Par contre, que la maîtresse  a un gros cul , et que le directeur adore recevoir les mamans dans son bureau, il y a longtemps que ce n'était plus un scoop...

Non, ce n'était plus possible....Tout le monde semblait souffrir du même syndrome , il avait beau accélérer le pas et se boucher les oreilles, cela continuait...Comment échapper à cette corruption verbale ? Il sentait bien qu'il n'avait plus la force de résister, et ,d'ailleurs, lui-même, Philippe, d'ordinaire si tiède et si timoré, ne commençait-il pas à ressentir les premiers gargouillements de vérités qu'il tenait jusque là silencieuses....


Il sut que lui aussi était atteint du m^me mal lorsqu'il ne put se retenir, en arrivant en face de son supérieur : «  Mon Dieu!!!! Il est temps que je vous le dise en face, ce n'est un secret pour personne : vous êtes le plus lâche et le plus incompétent de tous les directeurs que se sont succédé à votre poste. Si vous voulez que je vous dise la vérité, en plus, vous êtes moche, vous êtes chauve et vous êtes vieux.... »


Ah ! Quel soulagement de pouvoir dire enfin à chacun ce qu'il avait sur le cœur...Et il passa le reste de sa journée à hurler avec les loups....Mais le soir, quand il voulut appliquer ce traitement à sa femme, il fut reçu fraîchement :

«  Mon pauvre Philippe, tu es vraiment le dernier des couillons, la vérité, c'est que j'en ai plus rien à faire de toi, et si tu veux que je te dise, ça fait deux ans que je te trompe avec le voisin de palier... »



LE PETIT VIRUS

Il était une fois le petit virus H1N1 que Dieu, qui s’ennuyait dans son atelier, avait décidé d’envoyer infecter les humains.

La première difficulté que rencontra notre bon virus fut un banal problème de vecteur : comment parvenir jusqu’aux hommes, s’y faire reconnaître et s’y répandre ? Aux temps médiévaux, il suffisait d’un rat pour transmettre la peste à des populations entières, mais c’était devenu irréalisable dans un vingt et unième siècle aseptisé. Aux temps modernes, le prédécesseur d’H1N1 avait su sournoisement et efficacement s’immiscer au sein des populations avicoles et se transmettre urbi et orbi.

Notre petit virus H1N1 errait donc, la mine sombre sous son sombrero mexicain, quand il avisa un élevage porcin de belle facture, qu’il identifia aussitôt comme particulièrement adapté à ses sombres desseins et puis, myope comme il était, il avait moins de risques de se tromper de cible que s’il s’était agi d’infecter des rats ou des puces …

Donc, après avoir jeté son dévolu sur un goret rose et criard à souhait, il profita habilement d’un grognement du susdit, se glissa entre les soies délicates et sensibles des naseaux, lui chatouilla assidûment le groin et n’eut plus qu’à attendre la salve d’éternuements qui le propagea dans tout l’élevage porcin : l’opération était couronnée de succès…

Très rapidement, il se répandit dans tout le Mexique, se propagea du cochon aux adultes, de l’adulte aux enfants, d’Amérique du Sud en Asie, de l’Europe aux confins reculés du centre de l’Afrique….Plus rapidement encore, et en cela il dépassa aisément, les doigts dans le naseau pourrait-on dire, la renommée de son prédécesseur aviaire, il suscita un affolement sans précédent au sein des populations sus-nommées.

Pareille réussite combla pleinement H1N1 qui n’eut plus quà tirer sa révérence au sommet de sa gloire : il décida d’hiberner à proximité d’un chenil, attendant patiemment une nouvelle conjoncture favorable.


RECETTE DE LA GRIPPE A H1 N1

Préparation : contagieuse

Prix : à déterminer selon le trou de la Sécu

Ingrédients :

Une ministre très rose

Un bouquet garni d’informations alarmantes

15 boîtes de mouchoirs en papier

56 spots télévisés quotidiens

3 salves d’éternuement

2 bisous d’amour

Quelques postillons

Une belle envie de partager

Une pincée de malchance

40 minutes de transport en commun

Préparation : quelques mois

Cuisson : 38°5 à 41° selon gravité

Que boire avec ? Un grog ou une tisane

 
 
 

Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page