LIBRE PENSÉE (article de L. Joffrin publié dans Libé)
- Noël

- 6 avr. 2020
- 5 min de lecture
Dieu et le virus
>
> Les voies du seigneur sont décidément impénétrables. La plupart de ses
> fidèles, tout en priant avec ardeur pour la pauvre humanité, s’en
> remettent sagement à l’action très séculière des autorités civiles
> pour les protéger de la maladie ; les autorités religieuses constituées,
> chrétiennes, juives ou musulmanes, appellent toutes au civisme antivirus et
> font manifestement plus confiance au confinement et aux «gestes
> barrières» qu’aux génuflexions et aux bénédictions pour combattre le
> fléau. Mais il faut bien dire, toute révérence gardée, que c’est parmi
> les croyants les plus convaincus, les plus rigoureux, qu’on trouve les
> alliés les plus zélés du coronavirus. Pour parler clair, l’influence
> des intégristes de tout poil et tout plumage sur la santé des mortels de
> la planète est tout bonnement catastrophique.
>
> En France, on le sait, c’est un rassemblement évangélique de trois jours
> tenu dans l’est du pays, avec force embrassades, la «Porte ouverte
> chrétienne», qui s’est montré le plus efficace propagateur de la
> maladie sur le reste du territoire, quand les pèlerins illuminés par la
> grâce sont rentrés dans leurs pénates en portant, en plus de la bonne
> parole, de fortes doses de coronavirus dont ils ont comblé leurs proches et
> leurs voisins. La «Porte chrétienne» en question était en fait ouverte
> pour la maladie…
>
> Encore ce rassemblement s’est-il déroulé au début de l’épidémie,
> quand la prise de conscience de la dangerosité du virus était encore
> faible, ce qui atténue la responsabilité des organisateurs. Mais aux
> Etats-Unis, d’autres sectateurs du même culte, pasteurs en tête,
> refusent encore aujourd’hui de se soumettre à la discipline commune et
> continuent de se rassembler dans leurs églises au mépris des précautions
> les plus élémentaires. On soupçonne même Donald Trump, quand il a
> annoncé que tout redeviendrait normal à Pâques, d’avoir voulu, par
> cette prophétie aux allures bibliques complaire à cette communauté
> religieuse où il trouve les plus zélés de ses partisans.
>
> Les évangéliques, toujours… A Singapour, lit-on dans un papier de
> synthèse publié par les Dernières Nouvelles d’Alsace, le ministère de
> la Santé indique que plus de trente des tout premiers cas détectés sur
> l’île proviennent de deux églises évangéliques : Life Church and
> Missions, et Grace Assembly of God. Deux des fidèles venaient directement
> de Wuhan, en Chine, mais, tout à leur pieuse ferveur, ont négligé de
> s’isoler.
>
> En Corée du Sud, c’est l’Eglise Shincheonji de Jésus, secte
> apocalyptique aux méthodes musclées, et son gourou Lee Man-hee, qui sont
> mis en cause. Des offices au sein de sa branche de Daegu, début février,
> seraient à l’origine de la propagation du virus. Mi-mars, 60% des 7 500
> cas de Covid-19 sud-coréens étaient liés à la secte Shincheonji.
>
> En Iran, les rassemblements de Qom, ville sainte, sont à l’origine
> d’une grande partie des contaminations. Les premiers cas ont été
> décelés à la mi-février mais les cérémonies collectives ont continué
> jusqu’à la fin du mois. L’ayatollah responsable du mausolée a refusé
> d’interrompre le culte en expliquant que le sanctuaire était une «maison
> de guérison». Un autre dignitaire iranien a déclaré au bon peuple que le
> virus ne pouvait pas frapper les musulmans, jusqu’à ce qu’il soit
> lui-même atteint par la maladie.
>
> En Israël, le gouvernement a toutes les peines du monde à faire respecter
> les mesures de confinement dans les quartiers où habitent les juifs
> orthodoxes, qui continuent de se rendre dans les synagogues en contravention
> avec les règles civiles. Un chiffre a ébranlé l’opinion : la moitié
> des personnes hospitalisées en Israël sont issues d’une des communautés
> ultra-orthodoxes, alors que celles-ci comptent seulement pour 10% dans la
> population totale. Dans beaucoup de ces quartiers, les fidèles écoutent
> les consignes des rabbins et non celles des autorités. On continue de
> célébrer des mariages ou des enterrements en contradiction avec toutes les
> règles sanitaires. Comme ces croyants, souvent, ne disposent ni de la
> télévision, ni de la radio, ni d’Internet, le gouvernement fait diffuser
> ses mots d’ordre par haut-parleur. Les juifs orthodoxes sont présents
> aussi aux Etats-Unis. Le premier foyer virulent de la côte Est a été
> décelé à New Rochelle, une ville proche de New York. La majorité des
> personnes contaminées dans cette ville étaient liées à une communauté
> juive orthodoxe.
>
> En Inde, comme le rapporte RFI, c’est à un autre rassemblement religieux,
> musulman celui-là, qu’on impute une grande partie des contaminations. A
> la mi-mars, à New Dehli, plus de 3 000 personnes ont assisté à un office
> du Tabligh Jamaat, une organisation de missionnaires fondamentalistes. Elles
> sont ensuite rentrées chez elles, transmettant le virus dans tout le pays.
> Quelques jours après, les autorités ont interdit tout rassemblement, mais
> les responsables du groupe ont poursuivi leurs activités en soutenant
> qu’Allah les protégeait. Aujourd’hui, plus de 10% des cas d’infection
> et un tiers des décès liés au coronavirus sont des participants à cette
> congrégation ou bien leurs proches. Et l’on pourrait encore aligner
> beaucoup d’autres exemples, tout aussi édifiants.
>
> L’auteur de cette lettre ne bouffe pas du curé à tous les repas (ni de
> l’imam ni du rabbin). Quoique mécréant, il respecte la religion, souvent
> source de dévouement et d’altruisme. Il se garde de crier «croa, croa
> !» quand il croise un prêtre, comme on le faisait au temps du petit père
> Combes. Aussi bien, les églises dans l’épreuve de la pandémie font en
> général preuve de civisme et appellent à observer les règles édictées
> par les gouvernements. Ces précautions étant prises, il faut bien admettre
> que la religion ne joue pas toujours un rôle positif dans cette pandémie,
> en tout cas dans la version intégriste, qui ajoute à la pathologie des
> corps une pathologie de l’esprit. Partout, c’est le même raisonnement
> qui est tenu : s’il y a peu de malades, on rend grâce à Dieu pour la
> protection qu’il accorde aux croyants ; s’il y en a beaucoup, on
> explique le fléau par la colère du même Dieu devant le comportement impie
> de la population concernée.
>
> A tous ceux-là, on conseille la lecture de ces vers, tirés d’un
> célèbre poème de Voltaire, écrit après le tremblement de terre de
> Lisbonne, que les autorités religieuses de l’époque attribuaient elles
> aussi à l’impiété des habitants de la ville, tout en glorifiant envers
> et contre tout l’infinie sagesse du seigneur, dont les voies sont
> effectivement impénétrables.
>
> «Cent mille infortunés que la terre dévore,
>
> Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
>
> Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
>
> Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !
>
> Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
>
> Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
>
> Direz-vous : "C’est l’effet des éternelles lois
>
> Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ?"
>
> Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
>
> "Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ?"
>
> Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
>
> Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
> |
> | Laurent Joffrin |



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